I Oyez peuples d'Arawn, oyez le conteur alcofibras et apprenez la véritable histoire de notre monde car je veux vous parler d'une triste époque refoulée dans les limbes du temps, où les bergers s'accouplaient avec les brebis, où l'on trouvait les fils dans les lits des mères, où l'on forniquait sans distinction de race, d'âge ni de sexe, où les ministres du culte se vautraient secrètement dans le stupre, où les démons eux-mêmes rougissaient du langage des filles, où Dieu n'avait plus goût à rien, et nul n'est plus cruel et pervers qu'un dieu qui s'ennuie comme nous l'enseignent les saintes écritures.

II En ce temps-là on ne savait plus rien de la magie, on venait d'inventer la roue, et le prêtre en usait le dimanche, sur les places publiques, pour convaincre les infidèles. Mais cet exutoire qui devait être exemplaire et admirable ne faisait qu'attiser la braise du désir et le peuple se pressait au pied des bûchers lapidant le supplicié qui trépassait souvent avant que la main du bourreau ne l'eût touché.
III La plèbe ne blâmait pas le pêcheur mais elle se délectait de sa douleur avant de repartir joyeusement, ivre de la souffrance du repentant, vers la campagne où s'organisaient pour le reste du jour de gigantesques fêtes d'amour. On se gaussait des vrais martyres, on faisait commerce de la religion et des arts. Les artistes, fixant la nature, peignaient la dénature. On adorait des idoles aux seins lourds et aux lèvres charnues mais on ne leur offrait nulle vierge pour la simple raison qu'il ne s'en trouvait plus.Après des siècles de telles moeurs, la vie infectait les cités de krall, et l'on s'empilait plus joyeusement encore dans la promiscuité. Les bâtards étaient légions, et du sang roturier s'était déversé dans les plus nobles veines. On ne craignait plus Dieu, mais les furies, les centaures, les satyres, les gogones, les chimères, les liches, les golems, les élémentaux, les vampires, les loups-garou, les Macstouts, les Saurakis et les licornes buveuses de sang faisaient trembler les chrétiens. Et dans ce désordre nul ne retrouvait sa place : On avait confié le pouvoir au dément, la justice à l'inique, la religion à l 'impie, l'économie à l'avide, la morale à la catin, la guerre au châtré, et ce gouvernement de suffrage divin était couronné par un monarque, Sigfried de Krall, qui concentrait en lui-même toutes les qualités de ses ministres. Les fourbes étaient les vrais chefs du royaume. Et Dieu, dans la colère aveugle de son désespoir, ne visitait plus la terre que pour uriner dans le ciel jaune, avant de s'endormir, le corps rompu et les yeux lourds, dans le jardin d'Eden envahi de ronces d'un paradis vide de toute âme. Car Dieu vivait la nuit, où pour noyer sa mélancolie il formait des créatures inhumaines qu'il jetait sur terre. Parfois il murmurait à l' oreille d'un peuple endormi " tu es l'élu ", puis répétait la même bénédiction au peuple voisin dans l'espoir d'un conflit purificateur. Seulement, dans leur décadence, les hommes ne faisaient plus la guerre. Il n 'était plus de coeur assez pur, ni de cause assez forte. Alors Dieu, au comble du désespoir, s'enferma dans les limbes pour quarante jours et quarante nuits, abandonnant notre monde à son destin. C'est en ces temps obscurs, pendant ces quarante jours, que surgit le fléau du plus profond des entrailles de la terre. C'était il y a cent ans et ceux qui sont toujours en vie se rappellent encore aujourd'hui de la vision apocalyptique dont ils furent témoins. Sirnanoque, puisqu'il se nomme ainsi, Sirnanoque et ses légions grouillantes et noires profitèrent de la divine retraite pour dévaster sans peine les royaumes débauché. Ses armées boutèrent le feu aux quatre coins du monde et toutes les créatures qui échappèrent aux massacres se retrouvèrent errantes, dispersées par mont et par vaux. Mais cette histoire tout le monde la connait. Ce que l'on sait moins en revanche c'est ce qu'il advint du démon au réveil de Dieu, lorsque les quarante jours et les quarantes nuits se furent écoulés. Or donc Dieu s'éveilla la bouche pâteuse et les yeux embrumés. Il sortit de sa retraite et découvrit les villes brûlées, les créatures massacrées, son oeuvre dévastée. Il vit les hordes des ténèbres et la colère monta dans son coeur. Dès lors il pourchassa Sirnanoque tel que me l'a conté Werbtroi le Liseur lui-même :   IV Avec ses créatures, vêtus de peaux de bêtes, Echevelé, livide au milieu des tempêtes, Sirnanoque s'enfuit de devant Jéhovah. Comme le soir tombait, l'homme sombre arriva Au bas d'une montagne en une grande plaine ; Ses démons fatigués et ses orcs hors d'haleine Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. » Mais lui, ne dormant pas, songeait au pied des monts. Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres, Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres, Et qui le regardait dans l'ombre fixement. « Je suis trop près », dit-il avec un tremblement. Il réveilla ses orcs, ses créatures lasses, Et se remit à fuir sinistre dans l'espace. Il marcha trente jours, il marcha trente nuits. Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits, Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve, Sans repos, sans sommeil; ilève Des mers dans le pays qui fut depuis Assur. « Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr. Restons-y. Nous avons d'Arawn atteint les bornes. » Et, comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes L'oeil à la même place au fond de l'horizon. Alors il tressaillit en proie au noir frisson. « Cachez-moi ! » cria-t-il ; et, le doigt sur la bouche, Les démons regardaient trembler l'aïeul farouche. Il cria à Jabel, père de ceux qui vont Sous des tentes de poil dans le désert profond : « Etends de ce côté la toile de la tente. » Et l'on développa la muraille flottante ; Et, quand on l'eut fixée avec des poids de plomb : « Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l'enfant blond, La fille de ses Fils, douce comme l'aurore ; Sirnanoque répondit : « je vois cet oeil encore ! » Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs Soufflant dans des clairons et frappant des tambours, Cria : « je saurai bien construire une barrière. » Il fit un mur de bronze, mit Sirnanoque derrière. Sirnanoque dit « Cet oeil me regarde toujours! » Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours Si terrible, que rien ne puisse approcher d'elle. Bâtissons une ville avec sa citadelle, Bâtissons une ville, et nous la fermerons. » Alors Tubalcaïn, père des forgerons, Construisit une ville énorme et surhumaine. Pendant qu'il travaillait, ses frères, dans la plaine, Chassaient les fils d'Enos et les enfants de Seth ; Et l'on crevait les yeux à quiconque passait ; Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles. Le granit remplaça la tente aux murs de toiles, On lia chaque bloc avec des noeuds de fer, Et la ville semblait une ville d'enfer ; L'ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ; Ils donnèrent aux murs l'épaisseur des montagnes ; Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d'entrer. » Quand ils eurent fini de clore et de murer, On mit l'aïeul au centre en une tour de pierre ; Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père ! L'oeil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla. Sirnanoque répondit : " Non, il est toujours là. » Alors il dit: « je veux habiter sous la terre Comme dans son sépulcre un homme solitaire ; Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. » On fit donc une fosse, Sirnanoque dit « C'est bien ! » Puis il descendit seul sous cette voûte sombre Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre Et qu'on eut sur son front posé le dernier roc L'oeil était dans la tombe regardant Sirnanoque. Ainsi, il ne reste plus rien du fléau qu'un vieillard fuyant et quelques créatures fatigués. Mais méfions-nous de sa progéniture car Tsilla la filles de ses fils, Tsilla la blonde et ses amazones ont su tromper la vigilance du tout puissant, et je ne pressens rien de bon lorsque je vois des femelles prendre les armes. ( Rappelons-le, la vraie place de la femme est au foyer auprés de ses enfants car la femme n'est pas l'égale de l'homme comme nous l'enseigne les saintes écrirtures). Ne renouvellons pas les erreurs du passé peuple d'Arawn. Les Dieux font les légendes, tandis que les mortels, eux, écrivent l'Histoire. Ce qui a causé notre perte ne s'appelle pas Sirnanoque, Fenn Ayan, ni même Dieu.Ce qui a causé notre perte se nomme : l'oubli. Ainsi j'ai bien d'autres secrets à vous apprendre mais je ne peux les dire en place publique, notre monde est plein de dangers. S'il en est qui désire en savoir plus qu'il vienne à moi où à mes amis et nous nous feront un devoir de l'éclairer de nos lumières quel que soit le point évoqué moyennant quelques piècettes.

ml">