III
La plèbe ne blâmait pas le pêcheur mais
elle se délectait de sa douleur avant de
repartir joyeusement, ivre de la souffrance du
repentant, vers la campagne où s'organisaient
pour le reste du jour de gigantesques fêtes d'amour.
On se gaussait des vrais martyres, on faisait
commerce de la religion et des arts. Les artistes,
fixant la nature, peignaient la dénature. On
adorait des idoles aux seins lourds et aux lèvres
charnues mais on ne leur offrait nulle vierge
pour la simple raison qu'il ne s'en trouvait plus.Après
des siècles de telles moeurs, la vie infectait
les cités de krall, et l'on s'empilait plus
joyeusement encore dans la promiscuité. Les bâtards
étaient légions, et du sang roturier s'était déversé
dans les plus nobles veines. On ne craignait plus
Dieu, mais les furies, les centaures, les satyres,
les gogones, les chimères, les liches, les
golems, les élémentaux, les vampires, les loups-garou,
les Macstouts, les Saurakis et les licornes
buveuses de sang faisaient trembler les chrétiens.
Et dans ce désordre nul ne retrouvait sa place :
On avait confié le pouvoir au dément, la
justice à l'inique, la religion à l 'impie, l'économie
à l'avide, la morale à la catin, la guerre au
châtré, et ce gouvernement de suffrage divin était
couronné par un monarque, Sigfried de Krall, qui
concentrait en lui-même toutes les qualités de
ses ministres. Les fourbes étaient les vrais
chefs du royaume. Et Dieu, dans la colère
aveugle de son désespoir, ne visitait plus la
terre que pour uriner dans le ciel jaune, avant
de s'endormir, le corps rompu et les yeux lourds,
dans le jardin d'Eden envahi de ronces d'un
paradis vide de toute âme. Car Dieu vivait la
nuit, où pour noyer sa mélancolie il formait
des créatures inhumaines qu'il jetait sur terre.
Parfois il murmurait à l' oreille d'un peuple
endormi " tu es l'élu ", puis répétait
la même bénédiction au peuple voisin dans l'espoir
d'un conflit purificateur. Seulement, dans leur décadence,
les hommes ne faisaient plus la guerre. Il n 'était
plus de coeur assez pur, ni de cause assez forte.
Alors Dieu, au comble du désespoir, s'enferma
dans les limbes pour quarante jours et quarante
nuits, abandonnant notre monde à son destin. C'est
en ces temps obscurs, pendant ces quarante jours,
que surgit le fléau du plus profond des
entrailles de la terre. C'était il y a cent ans
et ceux qui sont toujours en vie se rappellent
encore aujourd'hui de la vision apocalyptique
dont ils furent témoins. Sirnanoque, puisqu'il
se nomme ainsi, Sirnanoque et ses légions
grouillantes et noires profitèrent de la divine
retraite pour dévaster sans peine les royaumes débauché.
Ses armées boutèrent le feu aux quatre coins du
monde et toutes les créatures qui échappèrent
aux massacres se retrouvèrent errantes, dispersées
par mont et par vaux. Mais cette histoire tout le
monde la connait. Ce que l'on sait moins en
revanche c'est ce qu'il advint du démon au réveil
de Dieu, lorsque les quarante jours et les
quarantes nuits se furent écoulés. Or donc Dieu
s'éveilla la bouche pâteuse et les yeux embrumés.
Il sortit de sa retraite et découvrit les villes
brûlées, les créatures massacrées, son oeuvre
dévastée. Il vit les hordes des ténèbres et
la colère monta dans son coeur. Dès lors il
pourchassa Sirnanoque tel que me l'a conté
Werbtroi le Liseur lui-même : |
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IV Avec
ses créatures, vêtus de peaux de bêtes,
Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
Sirnanoque s'enfuit de devant Jéhovah. Comme le
soir tombait, l'homme sombre arriva Au bas d'une
montagne en une grande plaine ; Ses démons
fatigués et ses orcs hors d'haleine Lui dirent :
« Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
Mais lui, ne dormant pas, songeait au pied des
monts. Ayant levé la tête, au fond des cieux
funèbres, Il vit un oeil, tout grand ouvert dans
les ténèbres, Et qui le regardait dans l'ombre
fixement. « Je suis trop près », dit-il avec
un tremblement. Il réveilla ses orcs, ses créatures
lasses, Et se remit à fuir sinistre dans l'espace.
Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
Sans repos, sans sommeil; ilève Des mers dans le
pays qui fut depuis Assur. « Arrêtons-nous, dit-il,
car cet asile est sûr. Restons-y. Nous avons d'Arawn
atteint les bornes. » Et, comme il s'asseyait,
il vit dans les cieux mornes L'oeil à la même
place au fond de l'horizon. Alors il tressaillit
en proie au noir frisson. « Cachez-moi ! » cria-t-il
; et, le doigt sur la bouche, Les démons
regardaient trembler l'aïeul farouche. Il cria
à Jabel, père de ceux qui vont Sous des tentes
de poil dans le désert profond : « Etends de ce
côté la toile de la tente. » Et l'on développa
la muraille flottante ; Et, quand on l'eut fixée
avec des poids de plomb : « Vous ne voyez plus
rien ? » dit Tsilla, l'enfant blond, La fille de
ses Fils, douce comme l'aurore ; Sirnanoque répondit
: « je vois cet oeil encore ! » Jubal, père de
ceux qui passent dans les bourgs Soufflant dans
des clairons et frappant des tambours, Cria : «
je saurai bien construire une barrière. » Il
fit un mur de bronze, mit Sirnanoque derrière.
Sirnanoque dit « Cet oeil me regarde toujours!
» Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de
tours Si terrible, que rien ne puisse approcher d'elle.
Bâtissons une ville avec sa citadelle, Bâtissons
une ville, et nous la fermerons. » Alors Tubalcaïn,
père des forgerons, Construisit une ville énorme
et surhumaine. Pendant qu'il travaillait, ses frères,
dans la plaine, Chassaient les fils d'Enos et les
enfants de Seth ; Et l'on crevait les yeux à
quiconque passait ; Et, le soir, on lançait des
flèches aux étoiles. Le granit remplaça la
tente aux murs de toiles, On lia chaque bloc avec
des noeuds de fer, Et la ville semblait une ville
d'enfer ; L'ombre des tours faisait la nuit dans
les campagnes ; Ils donnèrent aux murs l'épaisseur
des montagnes ; Sur la porte on grava : « Défense
à Dieu d'entrer. » Quand ils eurent fini de
clore et de murer, On mit l'aïeul au centre en
une tour de pierre ; Et lui restait lugubre et
hagard. « Ô mon père ! L'oeil a-t-il disparu ?
» dit en tremblant Tsilla. Sirnanoque répondit
: " Non, il est toujours là. » Alors il
dit: « je veux habiter sous la terre Comme dans
son sépulcre un homme solitaire ; Rien ne me
verra plus, je ne verrai plus rien. » On fit
donc une fosse, Sirnanoque dit « C'est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
Et qu'on eut sur son front posé le dernier roc L'oeil
était dans la tombe regardant Sirnanoque. Ainsi,
il ne reste plus rien du fléau qu'un vieillard
fuyant et quelques créatures fatigués. Mais méfions-nous
de sa progéniture car Tsilla la filles de ses
fils, Tsilla la blonde et ses amazones ont su
tromper la vigilance du tout puissant, et je ne
pressens rien de bon lorsque je vois des femelles
prendre les armes. ( Rappelons-le, la vraie place
de la femme est au foyer auprés de ses enfants
car la femme n'est pas l'égale de l'homme comme
nous l'enseigne les saintes écrirtures). Ne
renouvellons pas les erreurs du passé peuple d'Arawn.
Les Dieux font les légendes, tandis que les
mortels, eux, écrivent l'Histoire. Ce qui a causé
notre perte ne s'appelle pas Sirnanoque, Fenn
Ayan, ni même Dieu.Ce qui a causé notre perte
se nomme : l'oubli. Ainsi j'ai bien d'autres
secrets à vous apprendre mais je ne peux les
dire en place publique, notre monde est plein de
dangers. S'il en est qui désire en savoir plus
qu'il vienne à moi où à mes amis et nous nous
feront un devoir de l'éclairer de nos lumières
quel que soit le point évoqué moyennant
quelques piècettes. |